vendredi 18 octobre 2019

De l'usage d'un bilan carbone

On parle de plus en plus de mesurer son bilan carbone ou son empreinte carbone. Je ne vais évidemment pas m'en plaindre car je pense que c'est la base de départ pour se mettre en mouvement.

Pour bien décider ou agir, il faut mesurer.
Pour bien mesurer, il faut le bon outil.
Alors qu'est-ce qu'un bon calculateur carbone personnel ?

La réponse n'est pas si simple, et il n'est pas nécessaire d'avoir le meilleur outil pour prendre la bonne décision. Ça tombe bien car le meilleur calculateur carbone n'existe pas dans le grand public.

La vraie question est celle de l'usage d'un bilan carbone

Que peut nous dire un bilan carbone ?


On va se dire, que c'est une question évidente.  Le bilan carbone va donner un chiffre correspondant à son profil de vie à partir une série de réponses. 

Un chiffre, c'est une référence, c'est supposé être universel. Et un bilan carbone va même vous détailler le tout en fonction de la consommation, l'alimentation, le logement et les transports. On a donc 4 chiffres en 1!

Si on calcule son bilan carbone de la même manière d'une année sur l'autre, on va pouvoir y trouver une tendance. On va voir si on évolue dans le sens souhaité (qui est facteur 4 pour un Français moyen) ou pas. 

Le Bilan carbone permet

1- de suivre l'évolution de son mode de vie en unités carbone.

2- de suivre  l'évolution sur des catégories précises comme le transport ou l'alimentation.


Si on calcule son bilan carbone de la même manière, on va pouvoir se comparer avec les autres.

Mais c'est là que le bât blesse, cela fait 2x que je parle de  "calculer de la même manière" et de comparaison, pas de chiffres absolus. Car il n'y a pas de bilan carbone parfait, on a un thermomètre assez approximatif. Le chiffre sera différent si on change de calculateur et souvent de beaucoup!

On doit donc utiliser le même calculateur pour se comparer entre 2 personnes. De la même manière qu'on doit utiliser le même calculateur d'une année sur l'autre*.

3- permet de se comparer aux autres utilisateurs de la même méthodologie de calcul

Cela parait simple ou évident mais c'est peu le cas en général. En donc un gros piège bien souvent.

On fait fréquemment référence au chiffre national qui tourne autour de 10t eqCO2/an/personne.
La tentation est d'utiliser la calcul que l'on vient de faire pour se comparer... Mais on ne sait pas comment a été calculé le 10t et vous (moi aussi) utilisez un calculateur qui est incapable de sortir ce chiffre même si vous seriez le français moyen type. Le calculateur vous sort 3t, 5t; vous êtes contents, surpris; mais vous n'avez pas l'outil pour vous comparer aux 10.7 tonnes CO2e.

Entre 2 calculateurs, on peut avoir une différence allant du simple au triple pour la même personne. Vous voyez bien le problème pour comparer n'est-ce pas ?

Cela provient de 2 principaux facteurs:
- la méthode de calcul n'est pas universelle, j'en reparle plus bas
- mais surtout, le panier pris en compte pour le calcul varie énormément d'un calculateur à l'autre et un calculateur ne vous dit pas souvent, voir jamais, ce qu'il ne prend pas en compte.

Il ne faut pas incriminer le calculateur, en tous les cas pas trop. C'est normal d'avoir ce biais car c'est très compliqué, on ne peut pas poser des centaines de questions qui lasseront l'utilisateur ou auxquelles l'utilisateur ne saura pas répondre.  Le calculateur fait un choix pour vous. Il a raison mais du coup, vous ne pouvez pas du tout comparer.

C'est une erreur classique car il existe pas mal de calculateurs partiels ou prétendants être complets sans l'être. Et une fois son bilan calculé, on va le comparer avec le français moyen, le collègue de bureau ou la lecture que l'on vient de faire.

Eléments exclus en général dans les calculateurs:

  • l'énergie grise de la fabrication du logement
    (en général on va vous demander l'énergie utilisée pour se chauffer uniquement)
  • idem pour la voiture (on demande les km ou les heures de transports)
  • on va omettre de vous demander votre usage d'eau en bouteille
    (et se concentrer sur le poste important qui est la consommation de viande)
  • la consommation est un très large domaine, le nombre de questions est souvent tout riquiqui.
    (Ce qui sera a votre avantage si vous consommez beaucoup ce qui n'est pas compté et vice versa...)
  • silence radio sur votre usage du streaming
    (qui pèse bien souvent 1tonne, voir beaucoup plus chez un certain nombre de français)
  • les services et infrastructures publiques
    (ceci dit, là vous avez aucune prise, y compris si vous être contre certaines lignes...)

Pour faire simple, et au doigt mouillé,
en France, si vous êtes sous les 4 tonnes. Le calculateur est probablement incomplet... 

La méthode de calcul joue aussi un rôle important. Et là par contre, ce n'est pas toujours facile de trouver l'information, puis de savoir décoder si la méthode est la bonne. 

Comme cité au dessus, l'énergie grise est incluse ou pas. C'est important car souvent c'est très loin d'être négligeable. Pour une voiture, c'est à peu pré autant en usage qu'en fabrication; sur l'électronique, c'est plutôt la fabrication qui pèse lourd; pour une maison c'est très compliqué d'autant plus que le poids CO2 est à répartir sur plusieurs personnes voir génération même si vous avez été à la décision de raser la forêt pour construire votre havre de paix....

Un second point est la source primaire d'énergie, en particulier électrique. Par exemple conduire une voiture électrique dans un pays ayant un mix énergétique au charbon est plus émetteur que conduire un véhicule essence ou diesel... C'est vrai qu'en France métropolitaine, on a pas ce problème mais d'une façon général ce que vous achetez par exemple peut avoir une empreinte carbone très différente si c'est fabriqué en France ou en Chine (au hasard) et la question n'est pas le transport mais la production plus ou moins électro-carbonnée.

Le transport est en général assez bien géré même s'il y a des grosses variations coté aviation. Par contre, la livraison de colis n'est pas comptabilisé et mis bout à bout, vos achats vont prendre beaucoup d'embonpoints et si c'est une commande sur Alibaba, elle arrive en avion.

On trouve beaucoup de variation sur la partie consommation. Car c'est très compliqué, c'est vrai mais aussi on va voir apparaître une méthodologie un peu olé olé. Certains calculateurs vont exagérer à mes yeux l'empreinte carbone d'un produit électronique et ne pas vous interroger sur le lave vaisselle, micro onde ou d'autres achats bien souvent importés. Quelles sont les données derrières ses estimations ? Bien souvent, pas des bases vraiment solides et explicitées.

Enfin, on trouve des parties que je classerai plus dogmatiques. On pense que c'est bien d'avoir tel comportement alors on le valorise excessivement ou au contraire c'est mal et on le pénalise. Je vais prendre 2 exemples.

On entends de plus en plus, la notion de l'impact carbone de ses économies. Si vous mettez X euros dans votre banque Y cela coûte tant de CO2 pour votre bilan, la banque Z éventuellement vous donnant un bilan carbone plus glorieux. Si donner du sens à son argent est louable, cette transitivité dans le bilan carbone est à mon avis une erreur. Calculer ainsi consiste à comptabiliser les émissions 2 fois,  à l'investisseur (ici vous) ET la même émission au consommateur (vous de nouveau ou pas). Votre argent ayant "aidé" Total via votre banque, votre plein d'essence sera complété par le niveau de votre livret A. En bilan carbone, cela s'appelle un scope 3 où l'on compte dans son bilan les flux amont et aval de sa responsabilité. Je pense que ce n'est pas bon pour le bilan carbone d'un individu mais que cela ne vous empêche  pas de réfléchir au sens de vos placements, indépendamment du carbone ou pas.  Pour info, le 10.7t /an/personne ne compte pas les économies placées à tel ou tel endroit.

Le second dogme est l'usage d'énergie verte. Le bilan calculé pour le logement (chauffage, froid, eau chaude, etc) choisi entre 80g co2/kwh (chiffres officiels Adème) et quelques grammes si c'est Enr. La aussi, c'est évidemment un choix à encourager, enfin je crois. Et cela va avoir un bilan carbone positif c'est certain mais sans excès. Je prends mon exemple personnel, mon impact logement devient presque 0. C'est impossible et ridiculement faux. Je peux consommer autant que je veux sans impacter sur mon bilan carbone. Contre productif ET erroné. Pour information l'éolien est plutot vers 15g/Kwh et le le solaire 40g/Kwh. Ce ne sont pas des chiffres autant certifiés que ceux de l'Adème pour EDF mais à la fin, il serait plus juste de compter le logement sur source électrique EnR avec 2 ou 3 dizaines de g/Kwh.

Conclusion

Je terminerai ce long article en disant que le bilan carbone c'est avant tout un outil pour mesurer sa transition. Prenez un calculateur et regardez l'évolution pour vous années après années. Si le calculateur est assez bon, vous aurez un suivi précis dans toutes les catégories.

Ce que je recommande, mais c'est plus lourd, c'est de vous fabriquer votre calculateur au fur et à mesure de vos besoins. Comparer les chiffres, posez vous des questions sur les différences pour comprendre d'où vient le biais et faites un mix entre les chiffres. C'est laborieux mais cela vous permettra d'affiner vos résultats et ensuite vos actions de transition.

4- permet de se poser des questions sur sa consommation